Energies renouvelables : Transition énergétique, Mourad Preure plaide en faveur d’un «engagement» rapide
Posté par mouradpreure le 26 mars 2017
Doté d’un ensoleillement « exceptionnel », l’Algérie devra se lancer dans la réalisation de centrales solaires de type photovoltaïque car leurs prix sont les plus compétitifs actuellement, a indiqué Mourad Preure, expert pétrolier international et président du cabinet Emergy. Pour ce faire, l’Algérie gagnerait à opter pour une jonction entre les énergies renouvelables et l’industrie en produisant localement les équipements nécessaires aux centrales électriques. Concernant l’efficacité énergétique, l’expert recommande de « repenser » totalement notre mode de construction.
Reporters : Le ministère de l’Energie va lancer un appel d’offres pour la production de 4 000 MW d’électricité à partir du renouvelable. Est-ce que l’Algérie a les moyens de concrétiser ces appels d’offres ?
Mourad Preure : Même si ce sont des investissements coûteux, ils sont indispensables pour deux raisons : premièrement, il faut engager la transition énergétique et rattraper notre retard. Et un grand projet, par la dynamique qu’il va enclencher et les retours d’expérience qu’il va apporter, est impératif aujourd’hui. Deuxièmement, cette dynamique, qui devra déplacer une part substantielle de la demande énergétique nationale vers les renouvelables, va soulager la pression exercée par cette demande sur les hydrocarbures et conduire à libérer des volumes de gaz pour l’exportation. Le coût financier doit ainsi être apprécié sous cet angle. Dans une perspective de 22 000 MW (mégawatts) en renouvelables, une capacité visée pour 2030, l’objectif est de réaliser 600 à 800 MW par an. L’intérêt de l’approche, j’y reviendrai plus loin, est qu’elle ne se limite pas à l’importation d’installations solaires clé en mains, mais vise à construire des partenariats avec les entreprises réalisatrices dans la production locale des équipements. L’approche contractuelle proposée garantit ces partenariats, ce qui est un argument fort de négociation. L’implantation par ces derniers d’unités de production devra avoir pour effet d’enclencher un cercle vertueux où entreprises algériennes et universités seront engagées. A terme, cette dynamique ne manquera pas de tirer les coûts vers le bas, ce qui est vital pour pérenniser ce processus. Bien entendu, on entend par production, la fabrication, à terme, des cellules photovoltaïques, et pas seulement assemblage. Ce type de montage partenarial sera complexe à lancer, mais je le trouve réaliste. Il faut en effet considérer que l’industrie du solaire dans le monde souffre de la guerre des prix déclenchée par les Asiatiques, et l’industrie européenne subit de plein fouet leur concurrence. Ce qui l’a précipitée dans une crise grave, alors même que son excellence technologique est avérée et son pouvoir innovant très fort. Les Européens peinent à se maintenir à la taille critique pour l’avantage concurrentiel, leur marché étant érodé par les produits asiatiques. Notre pouvoir de négociation s’en trouve donc renforcé, et nous devons en tirer avantage. De même, les Asiatiques sont dans une dynamique de conquête et disposent de concepts de produits très avantageux et adaptés. Ils sont attentifs, j’en suis sûr, à toute ouverture partenariale stratégique venant de notre pays. Il en va de même, bien sûr, des Américains. Ainsi, il ne faut pas se focaliser sur le coût, certes élevé dans l’absolu, mais sur le contexte général et les ouvertures partenariales qu’il permet, soit les opportunités immenses qu’il nous ouvre. Pour cela, il faut être ambitieux.
Quelles sont les tendances mondiales dans la transition énergétique et comment nous y engager ? Pouvons-nous encore rattraper notre retard ?
Les renouvelables constituent 14% de la consommation mondiale d’énergie, proportion qui devrait se maintenir en 2040. Les énergies fossiles dominent à hauteur de 80% en moyenne, et cette proportion ne devrait pas changer d’ici à 2040 non plus. Le pétrole et le gaz avec 34% et 21% sont l’énergie majeure et le restera vraisemblablement jusqu’à la moitié du siècle. Néanmoins, près de 80% de la croissance proviendront des pays émergents qui partent de très bas et dont la demande est, de ce fait, incompressible. La transition énergétique est donc le passage d’un modèle de consommation dominé par les fossiles (pétrole, gaz et charbon) vers un modèle non carboné, non fossile. Elle part d’une réalité : le modèle de consommation énergétique occidental, qui est la référence, n’est pas généralisable à la planète, ni soutenable tant au plan des ressources qu’au niveau environnemental. Les énergies renouvelables bénéficient d’un volontarisme dans leur développement, mené surtout par les pays émergents. Pour la première fois en 2015, ce sont ces pays qui ont reçu le plus d’investissements dans les énergies renouvelables. 286 milliards de dollars ont été investis dans les renouvelables dans le monde en 2015, dont 156 milliards de dollars par les émergents. Cette tendance va se renforcer dans les années à venir, compte tenu des ambitions de la Chine et de l’Inde en la matière. L’an passé, pour la première fois, plus de la moitié de la nouvelle capacité de production d’électricité dans le monde était renouvelable. Concrètement, sur 253 gigawatts (GW) de capacité ajoutés dans le monde, 134 venaient des énergies renouvelables, hors larges centrales hydroélectriques. En 2015, grâce aux énergies renouvelables, sans compter les centrales hydroélectriques, un électron sur 10 produit dans le monde était « vert ». Si on compte l’hydroélectricité, c’était 2 sur 10. Les coûts du solaire sont ainsi structurellement orientés à la baisse du fait du progrès technique, fortement mobilisé. Nous devons en tenir compte. Le solaire coûte aujourd’hui 80 % moins cher qu’il y a 7 ans, et devrait coûter encore plus de moitié moins cher d’ici à 2025. Nous ne pouvons en dire autant des énergies fossiles, les coûts d’exploration des hydrocarbures augmentant toujours plus, de même que les fluctuations cycliques des prix qui pénalisent les hydrocarbures. L’Agence internationale de l’énergie prédit donc qu’en 2025, le solaire sera l’énergie la moins coûteuse. L’Algérie ne peut être en reste. Voilà qui justifie des projets visionnaires qui, forcément, portent sur de grandes capacités. Bien entendu, considérant les caractéristiques avantageuses de notre pays, il est inconcevable que la transition énergétique, qu’il nous est impératif de mener, ne prenne pas la forme d’une stratégie industrielle visant à faire de notre pays un futur leader dans les technologies du renouvelable, particulièrement du solaire.
Vous accordez beaucoup d’importance à l’efficacité énergétique…
La réalité est que, aujourd’hui, notre demande énergétique présente trois caractéristiques négatives : (i) elle est déconnectée de notre croissance économique. Notre efficacité énergétique est médiocre. Notre consommation énergétique ne correspond pas au niveau de création de richesses dans notre pays. Si l’on regarde notre bilan énergétique, l’industrie n’intervient qu’à hauteur de 20% de notre consommation. Notre intensité énergétique (consommation d’énergie par unité de PIB) est de 0.35 tep/unité de PIB, soit deux fois celle de l’OCDE. (ii) Notre consommation énergétique a été multipliée par trois entre 1980 et 2013. La consommation de gaz a été multipliée par 5.4, celle des produits pétroliers par 3, notre consommation électrique par 4.6 dans l’intervalle. Notre demande énergétique devrait doubler d’ici à 2030 et tripler d’ici à 2040. Notre demande dévore littéralement notre potentiel énergétique et n’est pas soutenable sur le long terme, considérant aussi ses effets néfastes sur l’environnement. Ainsi, je pense que le plus grand gisement, pour nous, repose sur les économies d’énergie. Il nous faut repenser totalement les problématiques de la construction et de l’habitat, en reconsidérant les concepts urbanistiques en vigueur et qui sont inadaptés, en revenant notamment aux matériaux de construction traditionnels en terre crue en les modernisant, ce qui sera un formidable chantier pour nos universités et nos PME. Il en est de même pour les problématiques de la mobilité où des aberrations sont constatées. Le programme national d’efficacité énergétique, qui prend en compte tous ces aspects, doit être mené, à mon avis, de manière volontariste, et surtout impliquer le citoyen. La communication et la création d’espaces d’échanges de confrontation d’expériences sont essentielles. Il faut créer une mobilisation citoyenne autour de cet objectif stratégique majeur.
Quelles sont les types de centrales réalisables en Algérie, photovoltaïques ou thermiques, et que pensez-vous des centrales hybrides, dont une a été construite à Hassi R’mel ?
Les centrales photovoltaïques sont aujourd’hui les plus compétitives par rapport aux centrales thermiques. Nous devons en tenir compte. Les centrales hybrides sont en fait des centrales à gaz à cycle combiné couplées à des centrales thermiques. Elles n’ont pas encore confirmé leur compétitivité par rapport aux centrales photovoltaïques. Nous devons être pragmatiques, à mon avis, et viser à tirer avantage des tendances à l’œuvre sur les plans industriel et technologique dans les renouvelables ainsi que des jeux d’acteurs. J’ai abordé plus haut la guerre concurrentielle qui secoue cette industrie aujourd’hui. Le photovoltaïque et l’éolien sont au cœur de cette bataille. Vu notre potentiel naturel en éolien, et vu celui en solaire, il faut diriger notre action vers le photovoltaïque, à mon avis. La durée d’ensoleillement moyenne dans notre pays est de 2 650 heures au nord et 3 500 heures au sud, qui représente 86% de notre territoire. L’énergie moyenne reçue par km2 est de 1 700 KW/heures au nord et 2 650 KW/heures au sud. Nous avons un ensoleillement exceptionnel qui nous qualifie pour figurer parmi les leaders de la transition énergétique. A condition, bien sûr, que celle-ci soit intégrée à la stratégie industrielle et menée par nos entreprises et nos universités.
Trouvez-vous que le programme national des ENR peut être plus ambitieux, et quelle vision recommanderiez-vous pour notre pays en matière de transition énergétique ?
Je crois avoir répondu, mais je veux insister sur la nécessaire harmonie entre la transition énergétique dans notre pays, qui doit être volontariste et visionnaire, et la stratégie industrielle, et la nécessaire implication de l’université dans le processus. Dans le photovoltaïque, la filière silicium domine aujourd’hui, et notre pays dispose de ressources en silice. Nous devons rentrer très en amont de la filière, produire le silicium nécessaire à la fabrication des cellules et nous ouvrir ainsi les portes pour la fabrication de semi-conducteurs. Nous sommes, en effet, à la tête d’une arborescence qui mène autant au solaire qu’à l’électronique et qui aura des effets démultiplicateurs dans tout le développement industriel national. De même, nous avons des ressources en lithium, or nous savons que les batteries lithium–ion sont une filière stratégique qui sera au cœur du nouveau paradigme de la mobilité qui tendra à s’imposer d’ici à la moitié du siècle. L’Algérie, considérant ses caractéristiques naturelles, ses ressources et le dynamisme de sa demande interne, est ainsi en mesure de se placer activement dans les challenges structurants de la transition énergétique, à condition d’impliquer ses entreprises et ses universités, cela en sollicitant le partenariat international de manière volontariste et planifiée. Nous devrions faire émerger des champions nationaux dans le domaine, ceux-ci draineront derrière eux PME, micro-entreprises innovantes, universités et recherche et engendreront un effet de rayonnement national, facteur de progrès scientifique et technique.
Quels gains pourrait-on en tirer par secteur d’activité?
Les gains sont évidents. Nous garantirons les équilibres énergétiques sur le long terme, créerons les conditions d’une croissance robuste et soutenue, appuyée sur les caractéristiques naturelles de notre pays et son expertise industrielle qui est réelle. Nous créerons des emplois et aussi les conditions réelles d’une diversification de l’économie et des exportations. Nous donnerons aussi un souffle nouveau à la citoyenneté, car, d’une part, l’accès à l’énergie sera assuré et accessible, d’autant que le citoyen sera impliqué dans une démarche stratégique visionnaire qu’il comprend, dont il est convaincu qu’il mène en conscience.
La tendance est à l’électrification du parc automobile. Notre pays ne semble pas s’intéresser à ces questions. Les projets d’usines automobiles tels que Renault, Volkswagen et Hyundai ainsi que ceux qui arrivent doivent-ils en tenir compte ?
J’ai déjà abordé la question de la croissance exponentielle, et anarchique aussi, de notre demande de produits pétroliers. Quand bien même elle serait soutenable sur le plan des ressources, ce qui n’est pas le cas, car elle exerce une pression extrême sur notre production d’hydrocarbures, elle n’est ni rationnelle sur le plan économique ni saine sur le plan environnemental. Je m’étais déjà, par le passé, étonné que les importateurs d’automobiles dans notre pays ne prévoient pas dans leur gamme des modèles à propulsion électrique ou hybrides (combustion et électrique), alors qu’ils produisent ces modèles et les commercialisent largement. Je pense qu’il faut y remédier.
Je pense aussi que pour les nouvelles usines implantées en Algérie, les modèles fabriqués doivent prendre à terme le pas sur les modèles à combustion. Je vais plus loin encore. Ce qu’il faut attendre de ces constructeurs qui commercialisent leurs voitures en Algérie, c’est qu’ils maximisent l’intégration nationale, certes, mais surtout qu’ils nous fassent entrer les technologies de la voiture de demain : le tout électrique, l’hybride, les moteurs à hydrogène, etc.. Qu’ils déploient en Algérie des activités intenses en technologie, usines de fabrication de moteurs ou de systèmes électroniques embarqués, centres de recherche, etc., et les articulent autour des universités et d’un tissu de PME nationales. L’effet de levier sera réel, alors, pour notre pays, autant aussi que pour ces constructeurs, nous devons les y convaincre. Là, il y a réellement un effet industrialisant qui nous placera dans les challenges industriels et technologiques de la mobilité pour le siècle qui s’ouvre.
Écrit par Fella Midjek
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