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Littérature, Poésie
Préface de Jean Déjeux à « Qaçidâte pour l’espoir »
En donnant pour titre à son recueil qaçidâte (sing. qaçida), Mourad Peure entend s’insérer dans la longue et prestigieuse tradition poétique arabe, la qaçida étant un poème arabe à la facture bien établie mais dont la forme actuellement peut revêtir bien des nouveautés. Le poète se rattache donc à une culture transmise de génération en génération aussi bien celle du terroir (évocation des poètes berbères) que celle venue d’Andalousie dont l’initiateur fut le célèbre Ziryab.
De ce point de vue, Mourad Preure n’est pas sans rejoindre un poète algérien connu: Bachir Hadj Ali dont on connaît l’attachement tant à la poésie populaire qu’à la poésie classique. Le poète pour son premier recueil est donc en bonne compagnie dans la poésie algérienne contemporaine de langue française. Cette langue étrangère leur paraît à tous deux un bon instrument pour exprimer à la fois les profondeurs et l’ouverture vers la modernité: açala wa tafattuh. La sortie de soi vers le monde d’aujourd’hui ne supprime pas l’authenticité de l’identité profonde maghrébine telle que les siècles l’ont façonnée et pourtant s’enrichissant sans cesse d’apports nouveaux.
Cette poésie de Mourad Preure se situe bien d’abord en terre algérienne, la terre mère hors de laquelle on a froid aux racines. Dans bon nombre de poèmes surgissent les termes et expressions arabes, les extraits de chansons populaires. Ils viennent ponctuer et relever l’expression poétique mais comme allant de soi, naturellement si l’on peut dire, dans un bilinguisme bien maîtrisé. L’oralité affleure constamment dans l’écriture, le populaire est imbriqué dans la langue apprise et écrite.
Sont appelés à témoigner les grands anciens de la musique arabe et les grands poètes, mais là encore, de même que les contemporains du poète, en tant que toujours vivants dans la création poétique. Ainsi est nommé Ziryab, cela va de soi, et sa musique classique andalouse aux vingt-quatre modes chromatiques avec la nûba correspondante à chaque heure de la journée. De cette suite musicale sont dérivés et la hawzi et le chaâbi. Parler de Ziryab c’est plonger dans l’ambiance envoûtante et festive de la nûba avec son prélude l’istikhbar, et ses autres mouvements. Evoquer ce passé chantant c’est naturellement citer Mohammed Ben Sahla du XVIII° siècle tlemcénien et plus près de nous El Hadj El Anka, le maître par excellence.
Sur un air d’El Anka, c’est. comme l’écrit M. Preure, Si M’hand ou M’hand « qui chante l’homme libre » (amazir). Le poète verlainien de la montagne altière donne ainsi la main au chanteur de la cité et aux mandoles de la Casbah. De l’Andalousie à la Palestine une grande caisse de résonance retentit de complaintes, de thrènes et de chants plaintifs, mais aussi de chants d’amour encouragés par les zgharit, ces youyou ponctuant la joie ou encore excitant au combat dans les temps forts de l’histoire nationale sur un fond scandé de vers du poète national Moufdi Zakaria: les klam el-djed alternant avec les klam el-hazel, l’effort, le sérieux et le religieux à coté du badin et de la plaisanterie, de la frivolité, des femmes et de l’amour.
Mourad Preure n’abandonne pas sa culture populaire ou savante parce qu’il écrit dans une langue étrangère. Sa poésie « parle en langues », comme on dit maintenant dans l’exégèse de l’écrit maghrébin en français. Elle exprime ainsi des résonances multiples. Les jeunes chantent le soir « à l’ombre du béton » dans des cités anonymes et ternes (« où il est horrible d’avoir vingt-ans » écrivait en 1975 le poète Tahar Djaout): ils chantent le chaâbi mais de nos jours aussi le raï (sulfureux pour la censure), la tradition renouvelée ou carrément la contre-culture provoquant un monde morose. Ces jeunes gens ont présents à l’esprit et sur les cordes de leurs guitares les gamins jouant au jeu atroce et cruel de la guerre des pierres en Palestine et à Beyrouth « aux seins arrachés », tandis que »les torrents de sang se disputent l’espace ». Le jeu, l’amour, le défoulement des sens et le langage des corps voisinent avec le déchirement de l’oiseau « sur le toit de nos rêves » et avec la blessure toujours à vif qui fait saigner le monde arabe pénétré par l’écharde dans la chair.
Evoquer l’amour, le raï ou tout simplement les zgharit et les twelwil c’est rendre présentes les femmes, justement chantées par les poèmes de Mourad Preure. Pas de vraie qaçida sans célébration amoureuse, que ce soit à la baie d’Alger féminisée, à Ateq ou encore à Souhila.
Au seuil de ton regard d’enfant
je voudrais planter un soleil
Et prendre à bras le corps
cet arc-en-ciel qui me nargue
Souhila je préfère
Ton sourire
A l’éclosion du matin.
La femme est chantée mais souvent dans la poésie arabe elle l’est beaucoup plus comme image désirée et idéalisée, ardemment rêvée, passionnément fantasmée que comme une possession réelle. Comme l’écrit le poète Hocine Tanjaoui dans un recueil inédit:
« filles nous n’avons pu que vous désirer
si peu vous serrer dans nos bras
paralysie de nos membres »
Mourad Preure parle d’attente dont « les pétales se changent en lumière », de parfum de jasmin qu’ensemence le rêve. Il rêve de nattes. L’objet paraît plus désirable rêvé et imaginé qu’assouvi une fois présent dans la réalité. L’enchantement est ivresse de rêve, mais terrible demeure l’instant ou l’on ouvre la porte, où l’on ouvre les yeux …
Nuit absolue
Regard insuffisamment rêvé
Ou trop attendu
Le poète est comme déçu par la rencontre quand le moment arrive. L’attente a été trop longue et le face à face est comme paralysant. La femme s’impose à la fois comme altérité et comme autre soi-même.
Chair ardente
Où tout élan est oubli consommé.
Mourad avoue justement « une authentique anecdote d’un être qui prit feu en jouant avec ses rêves ». Le feu est intérieur, mais les réalités sont souvent moroses: « Il se réveilla car il faut bien gagner sa vie ». La femme est « rêve », le jour « prometteur », mais « la nuit prenait le pas sur la poésie ». Les sourires étaient « furtifs ». Tout est effleuré, frôlé, jamais consenti ou consommé.
D’aucuns s’ingénient, en effet, à dresser des interdits et des barrières, des bienséances sclérosées et des coutumes immobiles, des hidjab cachant la beauté. Mais « la femme défaisant son voile » est déjà là tout de même « un espoir démesure / dévorant son homme ».
La poésie de Mourad Preure n’est pas doucereuse ou mièvre. Elle est même d’une saine ironie. Elle se tient virilement tantôt avec les mots quotidiens transfigurés par le poème, tantôt avec les mots du terroir plantés droits dans le terreau natal. Une poésie de l’espoir malgré les larmes, une poésie contre tous les hypocondriaques, les « honnêtes gens » satisfaits, les caméléons de service « mangeant dans tous les râteliers imaginables ». Mourad Preure rejoint ainsi quelques jeunes poètes algériens d’aujourd’hui depuis les années soixante-dix, dans la foulée de ceux que Jean Sénac (1926-1973) avait révélés dans l’Algérie trop austère de ces années-là et qui avait du mal à comprendre le chant du monde. « Les poètes partent en fumée … » écrit Mourad Preure, regrettant avec raison que la cité ne leur fasse pas la place à laquelle ils ont droit.
Tous les pays qui n’ont plus de légende
Sont condamnés à mourir de froid
écrivait Patrice de la Tour du Pin dans la Quête de joie. On pourrait aussi bien écrire: Tous les pays qui n’ont plus de poètes … ou qui n’auraient que des poètes officiels pour répéter les discours. Les « qacidâte pour l’espoir » sont des poèmes pour la joie.
Jean Déjeux
QUELQUES POEMES EXTRAITS DE
Editions l’Harmattan, Paris 1993
(Disponible aussi à la FNAC et amazon.fr)
QOUM TARA*
Je demande le sens de ma trajectoire
Perdue dans les bivouacs des nuits déclinantes
Minaret sous le Mechâl des temps hatifs
Je demande la beauté aux doigts fiévreux
Âteq tâtonnant dans les ténèbres de la soif.
Je demande le feu des nuits sans sel
Cristal ouvert comme un coeur de Tâos
Des nuits braisées par le sang de l’attente
Des nuits, dense chaleur, où ne luit l’échafaud.
Entre les Darbouz fleuris et la flûte aigrelette
Jonchée sur les Stouh couverts de mandoles
La Casbah enterre les tombes du silence.
Le regard comme une soif, gorgée de miel, de désirs,
encombrée de cachots aux murs de velours
S’il nous fallait pour vivre que cette soif,
Nous vivrons.
Jebbit âla mergued ettir
Elguit elghrab fih m’batou**
Je me suis penché sur le nid du frisson,
Je l’ai vu habité par le sens du calvaire.
Je cherche la cadence du couteau s’abattant sur la plaie,
La cadence de la nuit résonnant sur les pavés du sourire
Rien ne répond, l’heure est déflorée
Comme une tombe juvénile
Rien ne réponds que le silence
Mes bras se tendent
Comme des voiles amères
Se tendent à déchirer mon coeur
Mes bras
Socle de destins entrebaillés
* Leve-toi et vois
** « Je me suis penché sur le nid de l’oiseau / J’y ai trouvé un corbeau » (poésie populaire Est algérien)
Mechâl: Foudre
Âteq: Jeune fille
Tâos: Paon
UNE ROSE
Une rose posée sur la tempe gauche du soir
Ouvre ses bras pour une fois attentifs
A ce berger sans étoile.
Allez, du vent, ici c’est ma tête !
Oubliant jusqu’à l’élémentaire politesse,
Il tourna le dos à cette nuit enfantine,
et s’en alla longeant ses rêves,
Vers quelle ivresse, allez savoir.
QACIDA DE LA CITADINE EN FLEURS
Le matin se dépose sur le sillon fébrile
ensemencé de rêve et d’espoirs meurtris
A la brise s’entremêle le parfum de la rose
Tes yeux narguent la lune jusque dans sa candeur
Chante, chante Ya moulet essalef ettouil
A sommet de la crête le ciel prend son élan
Mes mains cherchent leurs pas sur le souffle de l’espoir
Entre ces cris murmurés et tes yeux orage naïf
Les pétales de l’attente se changent en lumière
Chante, chante Ya moulet essalef ettouil
Poitrine armant le geste de l’amant ébloui
Quand l’éclair du baiser a raison de la mort
La ligne de ton corps se délie et s’évade
Au détour de l’oubli, l’étreinte est magicienne
Fascinante blessure, l’exil accoste en toi
Mon pays déchiré se blottit dans tes bras
Chante, chante Ya moulet essalef ettouil
Notre soif est de celles qui attendent à l’aurore
Que la ville se détache du ciel et lui réponde
Pour l’amour que tu portes, jeunesse ardente et fière
Pour tes gestes enfantins qui m’ont ressucité
Pour les rêves que tu fais blottie au coin du jour
Pour ce que tu dois être, pour ce que tu peux être
Chante, chante Ya moulet essalef ettouil
Chante Ya moulet essalef ettouil
Chante, la vérité est dans tes yeux noirs
Tes colères incomprises
Dans tes mains encore pleines de la glaise de l’espoir
* Ô belle à la longue mèche
BEYROUTH
Avec le temps qu’il fait dans la ville de silence
Et l’oiseau déchiré sur le toit de nos rêves
Avec tes mains foulant le sable de mon corps
Cherchant parmi les ruines une parcelle de matin
Dans le creux du Kanoun* où les braises s’entrelacent
Je revois un printemps empalé aux roseaux
Et le cri d’un enfant pénétrant dans la tombe
Brune Beyrouth on t’arracha les seins
Et les torrents de sang se disputaient l’espace
Avec le temps qu’il fait dans la ville de silence
Le tranchant du croissant incrusté de murmures
Avec ce diadème que porte sur son front
La fille de bonne famille lorsqu’elle devient putain
Son chant traversant l’aube, évitant nos oreilles
Avec les yeux fuyants de nos renoncements
Et la boue suintant doucement de l’écran
Leurs cris qui lézardent nos dernières moustaches
Avec ton regard triste posé sur la défaite
Mon sourire se fait tout petit et je m’éloigne
Regardant le bout de mes souliers.
*Kanoun: Brasero
4 Réponses à “Littérature, Poésie”
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Bonsoir,
….. Ton blog est etonnant quand on decouvre ton aisance a etre un grand expert connu ici et ailleurs et cette simplicite a etre au meme moment un ecrivain doue d’une sensibilite rare.
Ce melange a etre pourtant qu’une seul et meme personne est un message fort pour nous tous.
Dans tes articles professionnels ou dans tes poemes nous retrouvons avec bonheur les mots Liberte, Identite, Fraternite, Responsabilite, etc….. Cela fait du bien………
J’ose penser qu’aujourd’hui, dire la verite est un acte heroique.
Salut Frere.
Les think tanks dans le moderne moderne et civilisé se construisent de la sorte.
Très louable initiative de l’un des dirigeants de notre groupe sonatrach ; qui a donné ce qqu’il pourrait donner.
La grandeur du Dr PREURE c’est sa fierté d’être algérien , son patriotisme , sa fidélité et par dessus tous le grand optimisme…
Tous nos sincères encouragements pour rester debout.
« Those who live for themselves are already dead ; those who live for an ideals are eternel »
bonjour chér ami c’est merveilleux ce que tu as fais la belle poesie la casba ça me fais, rappeller ma mére,mourad preure c’est un bonhomme éxemplaire.
DE LA PART DE MADAME MOUHEB SOUHILA
Salut le kasbadji qui a toujours parlé de sa casbah natale. je suis trés fier de t’avoir connu et travaillé avec toi pendant un certain temps à la SONATRACH. Si tu te souviens bien de cette époque , je m’occupais du Dossier Réserves d’hydrocarbures. on m’avait surnommé pour les 3 P , que j’avais prouvé que probablement c’est possible.j’attends ta réponse.